31.8.17

Deep Purple, InFinite, l'histoire sans fin

En tête d'affiche de la dernière édition du Hellfest, le groupe mythique des années 70 a décidé d'appeler sa tournée 2017 « The Long Goodbye ». Après 49 ans de carrière, Deep Purple semble vouloir faire ses « adieux » à la faveur d’un nouvel album intitulé « InFinite ». A ce titre, nous avons rencontré Don Airey qui a remplacé Jon Lord aux claviers et dont le curriculum vitae reste l'un des plus impressionnants du circuit (Michael Schenker, Ozzy Osbourne, Gary Moore, Judas Priest…). Aux débuts des années 80, nous l’avions découvert au sein de Rainbow, groupe de l’ex-guitariste de Deep Purple Ritchie Blackmore. La boucle est ainsi presque bouclée.

Don, la première fois que je t’ai entendu jouer du clavier, c’était sur l’album de Rainbow, « Difficult To Cure » (1981). Est-ce que tu gardes un souvenir particulier de cette période ?

Don Airey : Tu parles de Rainbow ? Excuse-moi je suis un peu sourd après avoir jouer de la musique pendant plus de 40 ans (rires). « Difficult To Cure » était un bon album même si je préfère le précédent « Down To Earth » (1979) qui, selon moi, était un bien meilleur disque avec Cozy Powell et Graham Bonnet. Je crois que c’est un des mes albums préférés car j’ai contribué à l’élaboration de certains morceaux (ndlr : quand bien même ce dernier n’est pas crédité). J’en suis très fier.

Comment définirais-tu tes collaborations avec un nombre impressionnant de formations. Est-ce que le terme de « musicien de session » peut te convenir au regard de certains de tes travaux en studio ?
Je ne me définis pas comme tel car, la plupart du temps, je faisais parti des groupes. Je dirais plutôt que je suis un « working musician ». Ce n’est jamais un travail facile, il faut toujours se maintenir à niveau. Tim Rice (ndlr : parolier et présentateur de radio britannique) a un message amusant sur son répondeur qui dit : « Hello, c’est Tim Rice, il n’y a personne à la maison pour le moment mais j’y veillerais » (rires). Si tu veux survivre dans le business de la musique, il faut être sur la brèche en permanence. J’écris d’ailleurs un livre à ce sujet.

Peux-tu nous en dire plus sur la façon dont tu contribues à la musique de ce monstre sacré du rock qu’est Deep Purple ?
C’est toujours difficile d’intégrer un tel groupe. Jon Lord (ndlr : le claviériste d’origine décédé en 2012) avait un tel aura dans Deep Purple. A l’époque, je travaillais sur différents projets quand les membres du groupe m’ont fait une proposition que je ne pouvais pas refuser (rires). J’ai été très surpris par le fait que Jon soit obligé de quitter Deep Purple. Ce fût quand même l’un des principaux compositeurs, chose assez rare pour ce type d’instrument au sein d’une formation de ce genre… La maladie l’a forcé à arrêter et il n’avait plus rien à offrir au groupe. En 2002, quand j’ai vraiment rejoint les autres membres, tout le monde était accablé par le départ de Jon. Puis, nous nous sommes progressivement remis au travail et nous voilà, 49 ans plus tard avec un nouvel album !


Avant de rejoindre la formation, avais-tu un album préféré de Deep Purple ?

Oui, c’était « Who Do We Think We Are » (1973) car je trouve ce disque merveilleux. Selon moi, il contient tous les ingrédients qui font un bon groupe. Aujourd’hui, j’ai un peu changé d’avis car je trouve que « Deep Purple In Rock » (1970) est également un très bon album. « Who Do We Think We Are » est très intense et vraiment très bien interprété. De plus, il y a une véritable atmosphère, un truc indéfinissable, comme si le groupe était au bord de la rupture (ndlr : ce qui est arrivé 6 mois après sa sortie puisque Ian Gillan et Roger Glover ont quitté le pourpre profond).


Peut-on parler de « InFinite » et de ta contribution à ce 20ème album de Deep Purple ?

Le processus de création du groupe a toujours été le même, c’est-à-dire que les musiciens jamment entre eux jusqu’à ce que les idées jaillissent et que l’on commence à les développer pour en faire de vraies chansons. J’apporte quelques idées mais tout est une question d’instant, de moment particulier où tous les éléments vont converger pour donner naissance à un morceau. C’est de cette façon que les compositions d’« InFinite » ont été conçues. Une fois cette première étape achevée, toutes les compositions sont passées par le filtre de notre producteur, Bob Ezrin. Il nous donne des directions, nous demande d’explorer certains passages, de développer certaines idées qu’il considère comme pas assez abouties. C’est un producteur extraordinaire. Il y a beaucoup d’interactions entre lui et nous. Bob essaye de rendre notre musique plus claire, plus lisible, dans le bon sens du terme.

Est-ce que l’on peut dire que ce « filtre » vous permet d’aller à l’essentiel ?

D’une certaine manière… C’est ce qu’est sensé faire un producteur. Il doit comprendre les choses aussi vite qu’il le peut et apporter sa vision de l’ensemble sans faire de compromis au niveau de la qualité. Si tu laisses un groupe seul face à ses compositions, au fait de devoir réaliser un album, cela peut prendre des années ! (rires). C’est pour cela qu’il est important d’avoir un point de vue extérieur pour être sûr d’avancer et de finaliser le job.


Peut-on parler du matériel que tu utilises actuellement en tant que musicien ?

Je joue sur un orgue Hammond A 100 qui est un vrai Hammond appelé « The shop » de 1962, c’est mon préféré de la série. Je dis ça car, l’autre jour, j’étais interviewé par un type qui m’a demandé ce qu’était mon instrument. Je lui ai répondu que c’était un orgue Hammond A 100, il m’a certifié que non (rires). Cet orgue a été comprimé pour en réduire la taille et il a été conditionné dans un caisson différent de celui utilisé habituellement pour ce type d’instrument. Comme les français pourraient dire : « C’est un vieux vin conditionné dans une nouvelle bouteille ». Sinon, sur cet album, j’ai utilisé un ampli guitare Pure Tone classe A et un Marshall Silver Jubilee. Lors de l’enregistrement de « InFinite », avec Bob, nous avons décidé de faire un mix des sons produits par ses deux amplis. Outre mon orgue Hammond, j’utilise également un synthétiseur Kurzweil 2600X qui est vraiment extraordinaire. Il est doté d’une station de travail Midi sur lequel j’utilise 4 ou 5 canaux… Mon matériel comprend également un vieux sampler pour les cordes, des effets, un Minimoog Voyager, pour les solos, un Moog Little Phatty et un Mellotron M4000D Rack qui est une recréation digitale du mythique clavier Mellotron.

Sur « InFinite », vous vous répartissez les solos avec Steve Morse (guitare) . Comme s’organise cette collaboration ?

Rien n’est vraiment bien déterminé à ce sujet. Nous n’avons pas l’obligation d’exécuter chacun un solo. Steve est un guitariste exceptionnel, il a le devoir de produire quelque chose de vraiment bon car la référence de Ritchie Blackmore plane toujours sur le groupe. C’est sans cesse un challenge pour lui. Nous pensons en permanence à la façon dont les fans vont accueillir ces nouvelles compositions. En revanche, pour un claviériste, c’est toujours dur de trouver la bonne configuration, de s’imposer dans un groupe de heavy rock. La plupart du temps, tu joues en coordination avec la section rythmique, le bassiste et le batteur. J’essaye de beaucoup écouter ce que Roger (Glover, le bassiste) fait et, en même temps, je dois suivre le guitariste. J’occupe vraiment un poste de musicien transverse. Jon disait qu’il créé un halo de son qui enveloppe tous les instruments. C’est ce qu’il faut faire mais c’est assez complexe à réaliser. Tu dois sans cesse endosser la casquette du « lead player » et celle du « rhythm player ». C’est probablement l’un des postes les plus durs à tenir dans un groupe de rock. Que faire quand le guitariste exécute un solo ? Je me dis toujours que cela sonnerait mieux sans aucune partie de clavier… La guitare, la basse et la batterie sont suffisantes.

C’était vrai pour des groupes des années 70 comme Black Sabbath ou Led Zeppelin…

Exactement. Le son de ces groupes était fantastique avec seulement ces 3 instruments. Je me pose donc toujours la question de savoir quoi faire, quelles sont les parties de clavier les plus pertinentes à produire. Cela demande donc de vraiment réfléchir avant de jouer la moindre note.



As-tu des titres favoris sur ce nouveau disque ?

J’aime bien « The Surprising », « One Night In Vegas », la reprise des Doors, « Roadhouse Blues ». Au départ, je ne pensais pas que c’était une bonne idée de reprendre ce titre. C’est Ian Paice qui l’a suggéré et nous avons finalement livré une interprétation avec un feeling différent de l’original. Au final, j’aime beaucoup ce titre.



Est-ce que tu as été influencé par le jeu de Ray Manzarek, le clavier des Doors ?

J’aime ce qu’il a fait avec les Doors mais, pour moi, il n’a pas été une influence. Les musiciens que j’admire sont plutôt des musiciens de jazz comme Jimmy Smith, Bill Evans, j’aime ce que Jan Hammer a fait avec le Mahavishnu Orchestra, Keith Emerson avec E.L.P ou ce qu’il a produit pour The Nice.


Avec de telles racines musicales, on peut se demander pourquoi tu as accepté de jouer avec Ozzy Osbourne, par exemple…

En fait, je connaissais Ozzy depuis un moment. J’avais joué dans Black Sabbath (ndlr : il était musicien de session sur l'album "Never Say Die!" de 1978) . Quand j’ai rejoint le groupe d’Ozzy en solo, je me suis vraiment posé la question de savoir si cela était une bonne opportunité, d'autant que Randy Rhoads était de l’aventure. Ce guitariste jouait d’une façon qui ne ressemblait à rien de ce que l’on pouvait entendre à l’époque. En ce qui me concernait, je ne savais pas comment aborder ma participation à cette formation. Ce n’était effectivement pas la musique que j’avais l’habitude de jouer. Randy m’a dit qu’il fallait rajouter des effets à mon jeu, des sonorités différentes, il m’a montré la voie à suivre pour coller à son jeu de guitare. C’est un groupe avec lequel j’ai pris beaucoup de plaisir…


Malheureusement, tu n’as pas été crédité sur certains titres mythiques du groupe comme « Mr Crowley »…

C’est vrai mais quand Ozzy a réunit la formation, il n’avait pas d’argent. Il avait beaucoup d’ennuis… Je lui ai alors dit que j’allais enregistré avec lui gratuitement. Il m’a alors demandé de réfléchir à une intro pour « Mr Crowley ». Je lui ai demandé de revenir dans 1h30mn. C’est comme cela que cette partie instrumentale a pris forme. J’ai fais partie de la formation d’Ozzy pendant 5 ans et je vis toujours dans la maison que j’ai pu m’acheter suite aux tournées que j’ai faites avec lui (rires).


Comment va se dérouler cette tournée avec Deep Purple ?

Nous allons faire pas mal de date. Cela a commencé au printemps 2017 et nous serons en tournée jusqu’en décembre de cette année. On aura un « coach spécial » qui est un jet privé (rires) et qui va nous emmener un peu partout. Deep Purple est organisé comme un unité militaire. Nous avons 30 personnes avec nous sur la route, 3 bus, 2 ou 3 camions pour transporter 3 configurations de scène différentes. Je me retrouve donc avec 3 orgues Hammond et le matériel qui va avec… C’est très compliqué à organiser mais, heureusement, nous ne nous occupons pas du tout de cette logistique. Nous avons juste à décider de ce que nous allons jouer. Malgré toute cette logistique complexe, ce qu’il y a de plus important à la fin, c’est comme tu vas assurer une performance de qualité.

Propos recueillis par Laurent Gilot
Photos : DR

Deep Purple,  InFinite (EarMusic - Verycords)
Sortie le 07 avril 2017

Deep Purple, All I Got Is You, official video