On se souvient encore, non sans une certaine émotion, de toutes les fois où l'on descendait discrètement à la cave (vers 22h50) pour écouter l'émission de l'ami Zégut et appuyer sur les deux touches du magnéto cassette pour enregistrer quelques perles obscures. Cette écoute clandestine du hard rock était presque l'un des trucs les plus licencieux que l'on pouvait faire à l'époque. Camping des flots bleus, Méphisto, gros rougeot, bobonne, le chien méchant 14/18, l'animateur de RTL nous éclatait avec sa galerie de personnes pittoresques et son cri de guerre ("Lusat bande de p'tites graisseuses et bande de p'tits graisseux") hurlé en direct du Grand-Duché du Luxembourg. L'émission de radio, qui récoltait 82,57% des suffrages dans le référendum 1985 d'Enfer magazine, revient aujourd'hui sous la forme d'une rétrospective sonique réjouissante. Entretien avec un tonton Zégut qui n'a toujours pas enlevé les doigts de la prise.
"Wango Tango", quel drôle de nom...
Françis Zégut : Pour faire un peu d'étymologie, ce nom farfelu est une expression argotique anglaise à connotation sexuelle. Quand j'ai fait les maquettes pour l'émission en 1980, sortait un 45 tours de Ted Nugent qui s'appelait "Wango Tango". Le nom était tellement dingue qu'on a choisi ce titre pour faire une émission de metal, au départ le vendredi entre 23 heures et minuit. A l'époque, le metal, comme maintenant, même si ça s'est un petit peu démocratisé, était mis de côté, ces mecs aux cheveux longs, avec des patches, buveurs de bière... Ca a été une expérience extraordinaire qui a duré 10 ans, entre 1980 et 1990.
RTL t'a confié l'antenne pour que tu passes du hard-rock et du metal. Comment as-tu réussi ton coup ?
Je ne sais pas. En tout cas, ça prouve que la radio était différente à l'époque, était moins formatée dans ces années-là. Sur RTL, il y avait aussi WRTL, arrivée une année avant "Wango Tango", il y avait une émission sur les lives, une sur la dance, il y avait Georges Lang, il y avait Jean-Bernard Hebey qui faisait une émission punk et new wave. Un autre courant musical important à l'époque, c'était le metal. Au-delà de l'étiquette qu'on veut bien coller au metal, il existe une musique d'une richesse assez incroyable, parce qu'en partant des bases du blues, on est arrivé à Nine Inch Nails, Faith No More ou Rage Against The Machine, qui ont exploré de nouveaux domaines. Pour moi, c'est un courant musical important : il remplit les salles de concert, les amateurs achètent des disques, font des milliers de bornes pour aller dans un festival, c'est plus que respectable !
Comment est-tu arrivée à cette musique ?
C'est celle de mon adolescence. Quand j'avais 15-16 ans, j'étais un fan, et je le suis toujours, de Led Zeppelin. C'était un groupe extraordinaire, avec des musiciens extraordinaires, chacun avec sa personnalité. Pour moi, une pierre angulaire. Ensuite, il y a eu AC/DC au milieu des années 70. A l'adolescence, on a toujours une musique préférée. Aujourd'hui, c'est le hip-hop ou la dance. Moi, c'était le metal, les guitar-heroes, Jimmy Page, Jimi Hendrix, Jeff Beck, ces gens-là... J'ai gardé tout ça avec moi en abordant les années 80.
Et donc, RTL te confie les clés pour une émission ?
Au début des années 80, on m'a dit, "on cherche de jeunes animateurs, envoyez des maquettes". Moi, j'ai proposé "Wango Tango" au moment où il se passait beaucoup de choses, comme l'arrivée de nouveaux groupes ou l'avènement d'AC/DC en 1980 avec “Back In Black” qui s'est vendu à des dizaines de millions d'exemplaires. Comme j'écoutais du metal, où les mecs jouent de la guitare et gueulent, j'ai décider de présenter l'émission en gueulant !
Ton attitude derrière le micro était effectivement originale !
Je ne parlais pas dans le creux de l'oreille, je gueulais debout. On a cassé un nombre d'enceintes incroyables, car on mettait à fond tout le temps ! Une heure de radio, c'était comme une heure de concert, je jouais de la guitare en carton, j'étais cuit ! J'aurais pu présenter de manière plus calme ou plus érudit rock, moi c'était plus BD, l'univers de Binet. Les Bidochon étaient l'archétype de ceux qui n'aiment pas les jeunes, qui n'aiment pas la musique de jeunes. Au final, l'émission était un mixte de tout ça, des Bidochon et de metal.
Tu pensais tenir combien de temps ?
Au début, je fais une maquette, qui est acceptée. 8 août 1980, je fais mes débuts, qui durent 5 semaines. En même temps que moi arrive une émission sur la new wave, qui dure aussi une heure par semaine. L'actrice Lorraine Bracco, qui a ensuite joué dans les Soprano, vivait à l'époque à Paris, et faisait une heure en parlant de mode et de musique. Fin août, tout s'arrête (Ndlr : euh Francis, si tu as débuté le 8 août, soit ça a duré moins de 5 semaines, soit c'était en septembre ). Bon, je ne sais pas, je me dis, en tout cas, j'ai fait un truc extraordinaire. En fait, il y a tellement de remontées, de gens qui téléphonent, de courriers – à l'époque, pas de mails – que l'émission repart en janvier 1981. Au début, que le vendredi, puis le vendredi et le dimanche, et puis du lundi au vendredi, de 23 heures à minuit.
Je crois que tu as donné un bon coup de pouce à la carrière de plusieurs groupes, français ou étrangers ?
Oui, c'est sûr. Satan Jokers avait une cassette que le groupe m'a amené. Je l'ai diffusée, et ils ont signé chez Phonogram. J'ai aussi diffusé dès leurs débuts d'autres groupes comme Metallica, Mötley Crüe, Iron Maiden, aux débuts des années 80... On était comme des explorateurs dans la jungle, avec notre machette. A l'époque, il n'existait pas de presse metal, pas d'autres émissions de metal... Certains se souviennent, comme les trois que je viens de citer, qui sont dans le coffret Wango Tango, d'autres ont la mémoire d'un poisson rouge. Mais ça, c'est un peu comme tous les artistes. Au début, c'est formidable, "merci, je repasserai", et puis les années passent, le succès grandit, et toi quand tu appelles, on ne te répond plus...
Tu recevais des auditeurs dans ton studio, je crois ?
Oui, plein. Des “graisseuses” et des “graisseux” venaient assister à l'émission, tout le monde était dans le même trip, comme si on était tous à un concert. Il y avait une ambiance de fête, mais professionnelle aussi, car nous faisions bien notre job.
Tu n'as jamais eu de remarques de ta direction ?
Jamais directes. En même temps, l'aventure a duré 10 ans, incroyable. Passer du metal, hurler dans la boîte à tonnerre pendant 10 ans...
“Wango Tango”, c'était aussi un langage. Tu parlais tout à l'heure des “graisseux” et “graisseuses”...
C'était un univers un peu BD, à la Bidochon, où j'avais créé des personnages et des lieux, comme le camping de Flots bleus, le Gros Rougeot, Bobonne, 14-18 (Ndlr : un chien). Il y avait aussi Odette Mouillefarine, Chombier... J'avais même intégré des personnes de la radio. Nous avons eu un patron émérite Philippe Labro : lui, je l'avais mis au camping des Flots bleus, sous le nom de Don Calabro. Sa limousine arrivait au camping à 11 heures, l'arrière à 20 heures ! Un secrétaire général de la radio est devenu Jean-Michel les Dents de requin, et son groupe, les Queues de castor ! Bref, tout un univers loufoque dont je reste très fier.
Un jour, on t'annonce que c'est fini...
Oui, on m'a dit, on change la grille, mais je reste à l'antenne. Il y aura un peu de metal dedans, mais moins. Ce qui provoque pas mal de retours de courrier, auquel le directeur de l'époque renvoyait une lettre-type !
Ta programmation dans Wango Tango était-elle totalement libre ? Aucune pression de la part des maisons de disques ?
Aucune ! A l'époque, je fonctionnais beaucoup aux imports, des disques disponibles à l'étranger et pas en France. Il est souvent arrivé que suite à des passages dans l'émission, des labels se décident à sortir un artiste chez nous. Mais aucune pression.
Tu recevais aussi beaucoup de disques de la part de nouveaux groupes ? Tu écoutais tout ?
Oui. Je lisais les pochettes, je me rencardais à droite à gauche. J'achetais des bouquins aux Etats-Unis que je recevais deux mois après. La curiosité a toujours été mon moteur.
On te parle toujours de "Wango Tango" ?
Oui, partout. L'un des membres d'un cabinet d'avocats à côté d'ici m'a confié qu'il m'écoutait quand il avait 15 ans. Je croise souvent d'anciens auditeurs. Quand je fais des dédicaces pour "Pop Rock Station", on m'en parle. Quand je vais au Hellfest, je serre 2 000 mains.
Pourquoi refaire un "Wango Tango", que ce soit l'émission spéciale ou le coffret ?
Signalons que les titres du coffet CD et du vinyle sont différents. Le double vinyle comprend des petits codes pour aller télécharger des jingles, et on fait une guitare en carton à monter soi-même, avec le mode d'emploi. L'émission, c'est une madeleine de Proust : une heure avec des archives, des interventions de l'époque, et on a remixé tout ça. C'est peut-être aussi le moyen, pour ceux qui n'ont pas connu, ou les curieux, de se dire : on pouvait faire ça à la radio, à cette époque-là. Ca n'existera plus. Peut-être le Net permettra-t-il d'ouvrir d'autres portes...
Comment as-tu élaboré le contenu du coffret ? En te plongeant dans tes programmes de l'époque ?
Tout ce qui est dans le coffet et le vinyle est passé dans Wango Tango. Le vinyle comprend une photocopie de la première émission officielle, le 16 janvier 1981, après les essais en 1980. Tu y retrouveras aussi des titres qui sont dans l'émission spéciale.
Le choix a dû être difficile pour se limiter à une heure d'émission ?
Ah oui ! L'autre problème, c'est que pour retrouver des archives, à l'époque, on n'avait pas de numérique. Des bandes, des cassettes, oui, mais rien en numérique. Pareil pour les photos . J'ai quand même mis la main sur quelques archives. Joachim Garraud, un DJ qui a travaillé avec David Guetta, fan de radio, fan de metal quand il était plus jeune, m'a enregistré à l'époque. Notamment les pubs que je faisais en hurlant : on en retrouve deux, une pour un magazine qui n'existe plus, "Rockland", et une autre pour "Tiercé Magazine", avec Pierrette Bres, ça vaut son pesant de cacahuètes. Un jour, Garraud est venu me voir avec deux CD. Il m'a dit qu'il était fan. J'en ai extrait des bouts. Dans cette heure, on a essayé de placer des petits trucs significatifs, un bout de Gros Rougeot, une publicité, etc. Au final, ça fait comme une vraie émission de l'époque !
Source : Michel Valentin - Leparisien.fr
Coffret Wango Tango, Edition limité, 4 Cds, double vinyles (Warner)
Sortie le 30 mars 2015
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